2020

Bariz (Paris), le temps des campements

Un film de Nicolas Jaoul
1 h 09 min
Production : Iskra - EHESS
Langue : Anglais, Français, Arabe
Image : Couleur
Son : Stéréo
Format : Vimeo, Fichier numérique, DCP, DVD
Versions disponibles : VFR, VENG

Eté 2015, Paris, quartier de la Chapelle. Des centaines d’exilés récemment arrivés d’Afrique de l’Est sont abandonnés à leur sort sur les trottoirs. Soutenus par des habitants du quartier, ils luttent pour recréer un campement qui leur permet de se protéger de la police et revendiquer leurs droits d’asile. Quelques mois plus tard, après avoir obtenu des hébergements, Ismaïl et Fathi nous parlent de leur exil, de leur arrivée à Paris et de solidarité.

Intentions par Nicolas Jaoul

« Bariz » est un film sur la mobilisation des campements d’exilés dans le quartier parisien de la chapelle durant les mois de juin et juillet 2015. Soutenus par les habitants du quartier et des militants, les exilés, plusieurs fois expulsés, ont tenté de se réinstaller afin de faire valoir leurs droits de demandeurs d’asile. Le film a été réalisé à partir d’une cinquantaine d’heures de rushes filmées sur les campements à cette époque. A ces images filmées par moi-même lors de ce premier tournage, s’ajoutent 6 heures issues d’un second tournage en 2016 où je suis retourné sur les lieux de ces campements avec un cadreur et une preneuse de son, afin de recueillir la parole de deux exilés présents dans cette lutte.

Ismail et Fathi sont deux jeunes hommes soudanais issus de régions et de milieux sociaux très différents : Ismail, 26 ans en 2015, est un paysan qui a fui son village dans les montagnes de Nour en proie à des attaques militaires. Fathi, 27 ans, est un journaliste et un activiste partisan d’un renouveau démocratique, qui a fui Khartoum pour pouvoir s’opposer librement au régime depuis l’étranger. Chacun d’eux a donc un rapport particulier à ces campements et aux mobilisations qui s’y sont déroulées. Ismaïl souligne surtout l’aspect solidaire et humain trouvé auprès des soutiens et des autres migrants après de multiples traumatismes liés à l’attaque de son village et à sa traversée de la Lybie et de la Méditerranée. C’est sur le trottoir de la halle de Pajol qu’il a trouvé un peu de réconfort et de soutien au terme de deux années d’exil. C’est là que devant la caméra, il accepte de livrer son histoire d’une terrible violence. Fathi a quant à lui été un acteur de premier plan de la politisation du campement de La Chapelle, en lien étroit avec des militants et des soutiens du quartier. Il explique comment, sur ce campement, son combat pour une révolution démocratique au Soudan s’est mué en un combat pour faire valoir les droits des demandeurs d’asile vivant à la rue.

Leur parole, saisie durant l’hiver et le printemps 2016, c’est à dire entre six et neuf mois après notre rencontre sur le campement, nous livre leur ressenti concernant leur arrivée à Paris, ainsi que sur cette mobilisation inattendue sur les trottoirs parisiens. En tant que soutien et habitant du quartier qui ait moi-même été impliqué comme soutien, le but de ce second tournage était de rendre compte comment ce moment d’effervescence autour des exilés avait été perçu et compris par les premiers intéressés. Dans ce film, les soutiens restent effacés au profit de la parole et des gestes politiques des migrants qui mettent en place une organisation politique qui se revendique comme autonome, bien que soutenue par des citoyens « avec papiers ». En se focalisant sur les exilés, le film tente ainsi de respecter l’esprit d’une lutte dans laquelle les soutiens mettent à disposition leurs ressources pour permettre aux migrants d’accéder à une voix et une visibilité politiques propres.

Complémentant une immersion en cinéma direct avec une qualité technique rudimentaire, sur les différents lieux des campements au gré de leurs expulsions et de leurs reconstructions, d’autres images meilleures techniquement viennent signifier un retour sur ces lieux désormais grillagés pour empêcher de nouveaux campements. Ces campements où venait s’exercer la solidarité populaire ont été remplacés par un centre d’accueil de la Mairie de Paris, une immense tente gonflable connue sous le nom de la « bulle » de la Porte de la Chapelle.

Le film entend ainsi poser la question de la place des camps de migrants dans la ville. S’ils ont été décrits comme des lieux indignes et insalubres par les autorités et les médias, ces témoignages vécus nous disent bien autre chose : tout d’abord, à quel point ce passage par les campements, bien que difficile, a permis aux exilés primo arrivants de trouver les premiers repères et de rencontrer des soutiens, essentiels sur le moment et pour la suite. Ensuite, en soulignant les enjeux de la visibilité pour défendre ses droits, lorsque les autorités, avec l’aide de grandes associations caritatives financées par des contrats publics, n’ont pour objectif que de les rendre invisibles. Le film entend ainsi grâce aux témoignages et analyses de Fathi et Ismaïl, rouvrir le débat sur ces campements et notamment sur certains aspects positifs en comparaison à l’accueil en centre d’hébergements d’urgence, qu’ils vivent comme une ségrégation raciste, une relégation hors de la cité et une manière d’atomiser un collectif politisé et solidaire.

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