Filmer l’accueil des visiteurs sans jamais tourner l’objectif de la caméra vers le centre de rétention. Ce qui m’est apparu d’abord comme une contrainte est devenu la force du film : observer la rétention en plan très large, englobant le lieu d’enfermement et tous ceux qui sont pris dans son champ de gravité, les visiteurs des retenus et au-delà, la société française dans son ensemble. L’accueil des visiteurs est un lieu frontière, entre intérieur et extérieur. C’est là que se joue tous les jours le même théâtre de l’absurde : celui de l’enfermement de personnes étrangères qui n’ont commis ni crime ni délit, mais qui n’ont « pas de papiers ». Dans cet espace, nos personnages sont nos fenêtres sur l’intérieur interdit, les passeurs du vécu d’un enfermement qui est aussi le leur car il s’inscrit dans leur histoire intime. Ils sont des révélateurs, montrant comment notre société assigne l’Étranger au rôle d’indésirable. Comment la France n’est pas le pays des Droits de l’Homme qu’elle prétend incarner.
Derrière ces parcours de la rétention, le film dépeint une réalité française que nous ne voulons pas voir. Il questionne un système institutionnalisé de criminalisation de l’étranger qui se durcit au fil des lois sur l’immigration. Un système absurde car il est aussi inefficace et coûteux, qu’inhumain et indéfendable. L’invisibilité de la rétention dans la société, la banalisation de la figure du « sans-papiers » sont autant de symptômes d’un glissement idéologique dangereux, d’une vision politique pernicieuse de notre avenir qui efface le sens des mots « hospitalité » et « humanité ». Il ne se passe pas une rencontre avec les visiteurs du centre de rétention de Vincennes sans que l’on me demande : « Où est la France, pays des droits de l’homme ? » Je n’ai toujours pas la réponse.
Les violations des droits sont quotidiennes. Non respect des procédures ou des conditions de rétention. Par exemple, de nombreuses personnes souffrent de pathologies non conciliables avec l’enfermement en CRA mais l’institution ferme les yeux. La violence, qu’elle soit le fait de policiers ou des retenus entre eux, est omniprésente : vols, agressions, bagarres, intimidations, passages à tabac, isolement, racisme, humiliation… mais aussi les tentatives de suicide, la camisole chimique, les méthodes d’expulsion forcées. Comme en 2014, quand Abdelhak Goradia, un Algérien âgé de 51 ans, est mort étouffé par son vomi, la tête enserrée d’un casque de boxe en mousse, dans le fourgon qui l’emmenait du centre de rétention de Vincennes à l’aéroport. Comme en mai dernier, toujours à Vincennes, la mort de Mohammed, un Egyptien de 59 ans, quelques heures après avoir été tabassé par la police en cellule d’isolement.